« Maman ». C’est fou comme une personne peut marquer la vie d’un humain, et ce dès la naissance. La relation mère-enfant est d’une complexité folle. Bien plus que la relation au père. Il faut dire qu’au départ de la vie, cette relation avec la mère est fusionnelle.
Bébé et maman ne « font plus qu’un ». Ce n’est qu’avec le temps et la vie en famille que l’enfant va de plus en plus, se « décoller » de sa mère.
Quoi qu’il en soit la mère reste la personne de notre existence la plus aimée mais aussi la plus haïe. Mais souvent, les relations mère-fille ne sont pas si simples…
La « fi-fille à son papa » :
Durand la période du complexe d’œdipe (de 2 ans à 5 ans selon les enfants), l’enfant souhaite épouser son parent de sexe opposé. Le petit-garçon veut épouser sa mère, la fille veut épouser son père. Cette période que tout être humain (avec des variantes selon les régions du monde) a vécue, est naturelle, normale et souhaitable. C’est cette période, une fois « dépassé » par l’enfant, qui va permettre à ce dernier de s’orienter vers d’autres personnes à aimer, et donc adopter une position hétérosexuelle.
Cependant cette période n’est pas sans heurts. La fille, en plus de se marier avec son père, veut des enfants de lui, elle veut littéralement prendre la place de sa mère dans le lit du père.
Cela se traduit pas des « prises de tête » entre mère et fille, avec une enfant qui ira chercher le réconfort dans les bras de son père et faire « la nique » à maman.
A cette période, la fille voit la mère comme une rivale. Et elle en mime les attitudes, les comportements…Elle prendra les vêtements de sa mère, les bijoux, le maquillage et fera à son tour, « la grande ».
La fille souhaite ressembler à la mère et en même temps souhaite être différente : elle souhaite plaire comme maman, mais en même temps, souhaite lui être différente, car être comme sa rivale, c’est tout de même « insupportable ».
Il y a donc de l’amour et de la haine dans cette affaire. Et tout ça pour un seul homme, le père.
Cette concurrence saine, devient souffrance lorsque le père joue le jeu de la fille. Il doit encourager la mère et également montrer et signifier à la fille, qu’il appartient à maman.
Dans les cas où cet oedipe n’est pas dépassé chez la fille, et donc où elle resterait « collé à son papa », la relation avec la mère deviendra conflictuelle et la relation père-fille risque d’être « peu saine ». La fille idéalisant son père comme l’homme parfait, aura des difficultés lorsqu’elle sera femme, à choisir et à maintenir une relation avec un autre « amant ».
Dans ce genre de situation, il convient que les parents se remettent en question : le père qui joue le jeu de l’enfant, la mère qui laisse faire sans réellement s’opposer à la situation.
Ce genre de situation est par ailleurs assez sérieuse pour motiver la consultation chez un spécialiste.
« La fusion mère-fille » :
Si la fusion mère-enfant à la naissance et pendant les semaines qui vont suivre est normale, une fusion qui persisterait dans le temps s’avère problématique.
Certaines mères vont cultiver une relation si forte avec leur fille, qu’il n’y a plus de place pour le père. Celui-ci, petit à petit, va se sentir rejeter, va manifester son mécontentement (en le disant, ou encore par le silence, des absences, etc) et par conséquent va finir par être rejeter véritablement. Ce sont ces mères qui entretiennent cette relation de dépendance avec leur enfant. La tétée tardive en est un exemple (passée 1an et demi, dans notre société, pose problème concernant l’envie, le désir de grandir de l’enfant). A défaut de prendre le sein, mère et fille se téléphonent tous les jours voire même plusieurs fois dans la journée. Un exemple extrême. Une jeune fille, la vingtaine, dépressive, vient me consulter. Ses parents sont divorcés. Ses rapports avec son père inexistants, elle est maintenant en conflit avec sa mère. Elle raconte que jusqu’à ses 14 ans, elle dormait dans la chambre parentale : soit dans les bras de sa mère, soit sur un petit lit de camping, à proximité du lit parental, en tenant la main de sa maman. Il est impossible pour les parents d’avoir une intimité, notamment sexuelle, puisque la fille est entre papa et maman. Ce qui arrange maman, car cela lui permet d’ « éviter » cette sexualité.
Mère et fille, il y a encore quelques années, étaient inséparables. Il n’y avait pas de secrets entre elles. Mais un jour, la mère rencontra un nouvel homme. Elle eut envie de refaire sa vie. La fille, qui avait jusque là, eut quelques petits copains, prenait plaisir « à les jeter » comme de vulgaires mouchoirs en papier. Maintenant c’était la mère qui voulait un homme, mais la fille ne l’acceptait pas. Ce nouvel homme venait perturber ce couple que mère et fille avaient formées. Paradoxalement, cette jeune fille avait elle aussi envie de vivre « normalement », mais à chaque fois, elle n’y arrivait pas, rattrapée par cette relation fusionnelle avec sa maman. La mère quitta l’homme car voyait la souffrance que cela créait chez sa fille. Du côté de la fille, la tentation de renouer la relation d’avant avec maman est trop forte.
Mieux valait vivre cette souffrance quotidienne qu’elles avaient toutes les deux l’habitude de côtoyer mutuellement, que cette nouvelle forme de souffrance, inconnue, si difficile, si angoissante.
Une variante de ce type de relation, est la relation « adulescente » :
Parfois avec les relations fusionnelles, on retrouve des cas où la mère revit avec sa fille, sa propre adolescence (ou celle qu’elle aurait tant voulue avoir dans la jeunesse).
Ces mamans s’habillent selon la même mode que leur fille. Elle montre le fantasme d’avoir la jeunesse éternelle.
- « C’est ta sœur » ?
- « Non, c’est ma mère ».
Dans cette forme de relation, mère et fille échangent leurs habits, bijoux et autres, bien plus fréquemment qu’à l’accoutumé. J’ai par ailleurs rencontré une mère et une fille qui allaient jusqu’à se prêter les dessous.
Cette forme de relation va embrouiller les relations familiales : la fille ne sera plus si l’autre femme qu’elle côtoie est sa mère (avec donc une fonction parentale et les activités, les attitudes, les comportements qui sont attendus d’une mère) ou une copine.
Certaines mamans vont même jusqu’à manipuler leur fille pour qu’elle quitte ce petit-ami qui ne plait guère. A l’inverse, certaines vont même faire du charme à ce petit-copain.
Le risque est encore une fois, que mère et fille ne soient pas chacune à leur place, partageant des choses qu’elles ne devraient pas. En ne respectant pas l’ordre naturel des générations, la mère empêche sa fille de devenir « fille de », c’est-à-dire, « fille d’une mère ». Avoir une l’identité de « fille de sa mère » permet d’envisager à son tour d’être femme et plus tard maman. Chacun doit rester à sa place, sinon dans la confusion des genres, on obtient la confusion des identités.
Ainsi dans ces genres de cas, la mère fusionnelle voit dans sa fille, le double d’elle-même ; la fille devient le prolongement de la mère. Mais lorsque l’une des deux protagonistes s’aperçoit que l’autre la vampirise, il peut se manifester une certaine agressivité, comme si l’une manifestait son envie de vivre sa propre vie. Il est bon dans ce cas de tenter un éloignement progressive de la relation : souvent les deux protagonistes envahissent le territoire de l’une ou de l’autre. Que chacun ait son propre territoire, déjà au sein de la maison.
Un territoire physique mais aussi un territoire du cœur…
Souvent une véritable séparation physique (la fille prendrait son indépendance dans une ville suffisamment éloigné) est assez bénéfique dans le temps. Même si les débuts de la séparation sont difficiles.
Vivre sa propre vie de femme suppose de couper suffisamment le « cordon ».
La maman qui critique :
Rien n’est assez bien pour elle. Il y a des femmes qui ne peuvent donner de l’affection à leur fille. Souvent cela vient d’un manque affectif dans leur propre enfance. Elle rejettent leur enfant car ont l’impression qu’il leur enlève une certaine forme de liberté, ou de domination.
Cela va conditionner la vie de la fille, qui peut reproduire plus tard le même schéma, et alors s’interdire d’aimer ou d’être aimé.
« C’est comme ça que tu fais ta purée pommes de terre ? Franchement tu devrais faire ceci, cela..»… « C’est comme ça que tu tiens ta maison ? »…On évite ce genre de désagrément possible, lorsqu’on n’habite pas sur le même terrain familial.
On peut partager son expérience de mère, sans pour autant remettre en question les capacités de sa fille à être elle-même une bonne mère. Il faut aussi que les mères comprennent qu’à un moment donné, leurs filles deviennent femmes, et qu’elles peuvent faire différemment sans pour autant mal faire. Souvent les mamans ne le comprennent pas car, il y a encore quelques temps, la fille, n’était pas si autonome. A ce moment, certaines mamans se sentent presque « inutiles ».
La seule possibilité reste la communication et l’expression de ses émotions (« là quand tu as dit cela, j’ai souffert… »). Mettre les choses à plat, ou consulter.
En guise de conclusion :
La meilleur solution reste la communication. Prendre le temps de se dire les choses, sans le ton des reproches si possible. Bien souvent il s’agit au départ de bonnes intentions de part et d’autre. Mais il est important de faire savoir que des fois, cela va trop loin. Il faut délimiter son espace de vie. Et respecter celui de l’autre.
Des fois s’éloigner un moment, prendre les distances, s’accorder à l’une et l’autre le temps de construire des choses, seule, permet de mieux revenir et d’en apprécier davantage les retrouvailles. Etre une femme c’est aussi être la maman et la fille de quelqu’un.
Article paru en Aout 2010, dans le magazine « Belle », supplément du journal « Le Quotidien », Ile de la Réunion.
Dr David GOULOIS : docteur en psychologie, psychologue, psychothérapeute et sexologue sur l’Ile de La Réunion
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