Je sens bien que quelque uns, ou quelque unes, m’en voudront de m’attaquer, de mettre des mots sur ce fantasme, si récurrent dans le monde de la jeunesse. Milles pardons par avance, mais finalement je me dis que traiter de ce sujet peut tout de même servir.
Qui, durant son enfance et/ou son adolescence n’a pas eut le béguin pour l’un de ses profs ?
En primaire, vous vouliez peut-être vous marier avec « monsieur » ou « maitresse »…C’était le temps où vous ne saviez pas vraiment ce qu’était qu’être amoureux, partagé entre l’amour pour « l’autre » et l’amour pour papa ou maman…Partagé entre l’envie de faire plaisir à maitresse ou monsieur en lui offrant un bouquet de fleurs fraichement cueillies dans la cour de « récré », dans l’attente qu’il ou elle les mettent dans le pot de yaourt qui lui sert de vase sur son bureau…Et partagé entre l’envie de lui faire plaisir comme on aurait pu faire plaisir à ses parents.
Egalement, de ce beau prof de philosophie qui, à travers la maitrise du verbe, sait discourir à la fois de la liberté nietzschéenne et de la l’aliénation cartésienne…De cette prof d’anglais à qui vous répondiez en bafouillant, « Yes, Bryan it is in the kitchen », mais de qui vous espériez secrètement que « she’s love you »…
Pomme rouge déposée sur le bureau du prof, petit bouquet de fleurs des cours de récréation, lettre enflammée (si si c’est possible), rougeurs du visage, bégaiement, « fayotage » (envie d’être le chouchou du prof)…
Et même au collège ou encore à la fac, vous « buviez » littéralement, les propos de votre enseignant, d’avantage fasciné par ce qu’il représente pour vous, que part ce qu’il dit…D’ailleurs si vous appreniez vos leçons c’était peut-être dans votre esprit, pour lui faire un cadeau ou l’honorer (un peu comme quand gamin, à 2 ans vous vous efforciez de faire caca sur le pot pour faire plaisir à papa et maman).
Tout ceci est bien normal et même tout à fait souhaitable : c’est même l’un des signes du dépassement du complexe d’Oedipe (l’on veut se marier avec maman, avoir des enfants de papa…).
Dans le complexe d’Oedipe non-résolu, l’enfant reste attaché à son parent du sexe opposé. Là dans ce sentiment amoureux envers son prof, l’enfant, le jeune, désire quelqu’un d’autre que son propre parent. Bien entendu l’enfant (moins de 12 ans dira t’on) n’en a pas réellement conscience et c’est encore la confusion avec son amour pour le parent. Tout autre chose se déroule à l’adolescence : le jeune voit en cet adulte, l’homme ou la femme idéals : celui qui représente à la fois papa ou maman, mais qui est suffisamment différent pour que dans la tête cela ne fasse pas un inceste.
Ainsi, chez le jeune, être amoureux d’un adulte, c’est le fantasme (ce qu’on désir inconsciemment ou non) de vouloir être unique, privilégié (celui ou celle qui arriverait à avoir ce que les autres n’auraient pas).
C’est aussi le fantasme de vouloir participer à quelque chose d’interdit.
Justement, le principe d’un fantasme c’est de rester à l’état de fantasme. Et donc de ne pas être réel. Si assouvir un fantasme est jouissif, l’assouvir peut s’avérer destructeur, dangereux et peut même révéler qu’un fois réalisé, maintenant, l’on s’ennui. Car le fantasme créait une dynamique de vie, mettait et gardait en haleine. Une fois qu’il est réalisé, eh bien certaines fois l’on est déçu car cela n’avait pas le piquant espéré. Ainsi pour continuer ses effets bénéfiques sur le psychisme (le fantasme peut être très positif), mieux vaut peut-être ne pas le réaliser. D’autant plus s’il correspond à un interdit posé par la société (l’interdit posé par les parents, pas nécessairement, car les parents peuvent avoir eux même des soucis avec leurs propres fantasmes) ; l’on dira que pour une fois, la société à du bon sens. Interdit de sortir avec son prof ou d’avoir une aventure avec lui, est judicieux.
Etre amoureux c’est véritable génial, même si cela fait souffrir (l’amour fait toujours, mais alors, toujours souffrir à un moment ou à un autre). Mais il y a des interdits qu’il ne faut pas franchir. Cela doit-il s’arrêter au collège, ou encore au lycée ?
Eh bien normalement non. Cet interdit doit continuer à la fac ; parce qu’il y a un écart d’âge et donc potentiellement de vécu, qui vous mettrait dans la réalisation de votre fantasme Oedipien (avoir une relation avec quelqu’un qui pourrait être votre père, votre mère) : le prof est quelqu’un qu’on est censé respecter, qu’on est censé admirer.
Il vient quelque part remplacer la (nécessaire) déception que les parents ont provoqués à l’adolescence (« ah bon papa, tu n’es pas le mari idéal que j’avais fantasmé ? Je m’en vais chercher un autre… »). Hors étant donné que vous le respectez et que vous êtes sous son autorité, il ne doit pas vous faire des avances ou céder aux vôtres : quant bien même vous avez 20 ans.
Tout simplement parce qu’une fois l’amour défendu consommé, la relation entre l’élève et le « maître » sera différente ; il ne vous regardera plus de la même façon et vous non plus. Il ne pourra plus rien vous transmettre comme un enseignant doit le faire (c’est-à-dire, à la fois comme un père et une mère bienveillants).
Et vous ne pourrez plus apprendre de lui comme un élève doit le faire (comme un enfant bienveillant, apprend de ses parents).
Il en est peut-être différemment des situations ou élève et prof ont le même âge. Enfin, pas tant que cela. Car une relation interdite pourra nuire au travail entre élève et enseignant. Mais disons que le prof qui, en général, débute ses fonctions vers la trentaine et dont l’élève serait plus ou moins proche de cet âge, sont tous deux censés avoir eut des expérience amoureuses précédentes, sont censés avoir un certain recul de la vie…L’on n’a pas vraiment de recul de la vie tant qu’on a pas été dans le monde du travail et tant que l’on a pas assumé ses propres charges et surtout celle de quelqu’un d’autre. Etre adulte, c’est donc véritablement avoir la capacité à assumer quelqu’un d’autre que soit, a priori un enfant. Ce n’est ainsi, pas qu’une question d’âge.
Dans cette configuration cela devient une relation entre adultes, même s’il est clair que la relation enseignant-enseigné risque d’en pâtir.
Pour conclure, je dirais qu’avoir des sentiments pour son enseignant, est à la fois classique et normal. C’est souvent un transfert parental exercé sur le prof : vous aimeriez vivre une relation aussi forte que celle que vous aviez vécu ou que justement vous n’aviez pas assez vécu avec votre parent ; vous n’y avez donc pas trouvé de juste milieu dans l’enfance, vous êtes donc confus dans vos sentiments et vous fantasmez légitimement que l’enseignant pourrait vous aimer aussi fort.
Je pense que si les âges sont proche entre vous et votre enseignant, c’est du registre à la fois du transfert mais aussi du registre de la « logique », puisque du fait de sa proximité dans l’âge il pourrait devenir un partenaire sexuel, amoureux et donc marital crédible. Là, cela devient une relation entre adultes ou potentiels adultes.
Avouer ses sentiments à un prof est toujours délicat, d’autant que le risque de se faire « rembarrer » est grand (cette peur est justifiée). Maintenant si vous lui en parlez, j’ose penser que c’est à l’enseignant de mettre un frein à cet amour impossible et d’ainsi, recadrer gentiment mais fermement les choses. Un prof qui accepte les avances d’un mineur est en tort. Il n’y a aucune excuse à cela. Que le mineur n’oublie pas que le prof est peut-être « casé » et qu’il ne quittera certainement pas tout, pour le jeune (cela ne se voit que dans les films et la vie n’est pas un film). Après, la loi est claire, les adultes font ce qu’ils veulent entre adultes. Le meilleur moyen reste de laisser filer le temps : il est probable, particulièrement si vous êtes jeune, que vous délaissiez progressivement votre enseignant, pour alors vous tourner vers quelqu’un de votre âge et donc d’accessible.
Article publié dans la magazine » Belle », supplément du journal le Quotidien, ile de la Réunion
Dr David GOULOIS : docteur en psychologie, psychologue, psychothérapeute et sexologue sur l’Ile de La Réunion
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