Le « mythe du retour » est mis en évidence par de nombreux spécialistes de la psychopathologie interculturelle et est maintenant reconnu comme expression psychique typique des migrants. Ce « mythe » sous-entend une histoire, une fable, un fantasme lié au retour au pays, aux sources de son enfance, au sources de son « berceau culturel »[1], de son « enculturation »[2]…
Migrer c’est finalement, perdre les odeurs, les saveurs, les sons, l’ « ambiance » d’origine, et bien évidemment, quitter sa famille. C’est prendre le risque de quitter le « connu » pour l’ « inconnu », l’ « étrange », et ce, pour un temps plus ou moins long.
Car rares sont les migrants en quête d’exotisme : souvent, ils fuient leur terre natale pour espérer vivre autre part avec décence, croire en une vie meilleure, pour eux et leurs enfants. Là, sont les conséquence engendrées par les sociétés industrialisées, creusant chaque jour d’avantage le fossé entre pays riches et pays pauvres.
Ce mythe inclus le désir profond d’un retour, mais aussi d’une crainte, d’une angoisse au regard de ce nouveau voyage, de la qualité de l’accueil familiale ou communautaire fantasmé, lors du retour.
En effet, le migrant lorsqu’il entreprend de quitter la terre de ses ancêtres, sa famille, est souvent porteur d’un « mandat trans-générationnel » : il est celui qui « doit réussir » pour la famille, socialement, financièrement, afin de donner ou redonner honneur et dignité aux anciens, aux ancêtres. Gare à celui qui n’y parviens pas…Ainsi s’abat sur lui, (de façon réelle ou fantasmé), le « courroux » de la famille, de la communauté d’origine, et à fortiori de son Surmoi.
Ainsi, la honte mais aussi le processus d’enculturation en terre d’accueil, peuvent parasiter ce retour, créant ainsi une certaine « dissonance cognitive »[3], un « double-lien »[4], un « clivage » entre l’attachement du migrant envers sa terre d’accueil et l’appel de la terre d’origine.
Ce « conflit » se traduira par différents troubles, seuls ou associés tels que la psycho-somatisation, la conversion hystérique, les passages à l’acte, la prise de toxiques, les troubles psychotiques ou border-line… Mais aussi par certaines expressions, notamment les rêves, expression de l’inconscient par ailleurs considérée comme privilégiée dans certaines cultures.
Je prendrai comme exemple le cas d’une migrante de l’île de La Réunion, Sophie, installée en métropole depuis 15 ans. L’âge réel de cette femme et de son fils son conservés dans le rêve, soit respectivement 34 ans et 2 ans et demi.
Cette observation clinique fait suite à une recherche que j’ai précédemment engagé auprès des migrants Réunionnais en métropole[5].
Rêve N°1 :
La scène se passe à la Réunion, dans sa commune d’origine. Sophie n’a pas de voiture pour aller chercher son jeune fils à l’école primaire.
Elle demande, même supplie ses connaissances, puis sa belle-sœur (ex belle-sœur aujourd’hui) de l’emmener en voiture. Toutes ces personnes refusent. Elle répond alors à sa belle-sœur, qu’elle ira donc à pied. Elle s’en va, mais se retourne derrière elle, voyant alors la nuit tomber, précisément sur sa belle sœur et l’environnement qui entoure cette dernière, tandis que l’endroit vers lequel elle avance (vers son fils), est très ensoleillé. En allant vers son fils, elle monte une côte avec difficulté, constamment attirée vers sa belle-sœur et la nuit.
Arrivant tout de même au sommet, elle regarde à nouveau derrière elle le côté sombre, se demandant alors, « Qu’est-ce que je fous là ? ». A cet instant elle se réveille.
Interprétation conjointe du rêve :
Elle a quitté la métropole il y à maintenant 15ans. Mariée à un métropolitain, elle s’est relativement enculturée, et regarde son île différemment d’avant son départ. Elle dit avoir pris du recul, n’hésitant pas à critiquer les disfonctionnements de sa culture et de sa communauté d’origine, tout en reconnaissant ses qualités. Ainsi est-elle partagé entre la métropole et son île, bien qu’elle souhaite s’y ré-installer (le voyage étant en préparation).
Son enfance passée à la Réunion fut très difficile en particulier avec sa mère : régulièrement, sa mère l’abandonna dans divers lieux, ne s’intéressant par ailleurs nullement à sa scolarité, la rabrouant même lorsqu’elle eu de bons résultats, et de temps à autre, la frappait…Jeune fille, elle fut recueillie par ses voisins, en particulier pendant l’époque adolescente, époque où elle connu son ex-conjoint et donc son ex-sa belle sœur. Ainsi, son rêve semble traduire l’angoisse de ne pas pouvoir être une bonne mère et alors de reproduire avec cet enfant né en métropole, les actes commis par sa mère à La Réunion. Alors angoisse-t-elle à l’idée de « sombrer » du côté « obscur » de la belle-sœur, prolongement symbolique de l’époque de sa relation pénible avec sa mère.
L’école est un lieu d’apprentissage que Sophie n’a jamais respecté à La Réunion, alors qu’en métropole elle le juge utile, encourageant son jeune fils dans ses activités scolaires.
Aujourd’hui, elle peste contre l’époque, où sur son île, elle faisait l’école buissonnière.
Ainsi dans son rêve elle associe d’un côté les thèmes : « enfant né en métropole », « école », « lumière »… De l’autre, « belle-sœur, prolongement de l’époque de discorde avec la mère », « impossibilité de participer à la relation de son fils avec l’école », « ne pouvant aller le chercher, de surcroît abandon » et enfin « obscurité ».
L’interprétation fut validée par la rêveuse.
Rêve N°2, réalisé environ 15 jours après le premier :
Sophie se voit dans une maison, refermant une boite à chaussure dans laquelle se trouve son jeune fils. Le rêve commence directement pas l’acte de refermer la boite, puis elle la pose sur un lit. Ensuite elle laisse son fils et entreprend de gravir une montagne, et soudain ressent l’envie d’uriner. Elle regarde autour d’elle, et voie une forêt au sein même de cette montagne, décidant d’y aller pour se soulager. Lorsqu’elle eut fini, elle entendit un bruit (ou ressenti quelque chose), et voie alors apparaître une vague déferlante vers elle, en provenance du haut de la montagne.
Pensant alors que son fils sera alors également emporté, elle cours pour venir à lui.
Le rêve se termine à ce moment.
Interprétation conjointe du rêve :
Elle associe la boite à chaussure avec un cercueil. Directement elle continue d’associer en exprimant l’idée qu’elle n’a peut-être pas fait le deuil de sa mère, morte d’un cancer il y à 10 ans, période où Sophie vivait en métropole.
L’enfant né en métropole est-il sur son « lit de mort », comme l’était la mère de Sophie à La Réunion ?
Elle gravit péniblement cette montagne, son île, sa culture d’origine. Elle veut y satisfaire un besoin corrosif, symboliquement « agressif »[6] . Ainsi veut-elle détruire, dissoudre sa culture première ? Cette vague meurtrière, serait-elle le « retour destructif au centuple » de son urine qui vient d’elle, à la fois créole et métropolisée ? Vague qui la pousse à rejoindre son fils métropolitain. La montagne la punit-elle d’avoir était souillé par un contenu mixte, métissé ? La montagne refuse-t-elle celle qui n’est plus ce qu’elle était originairement ?
Ainsi elle semble craindre qu’en partant avec sa culture partiellement métropolitaine du fait de son enculturation, qu’en partant avec son fils lui même métissé et instanciation » du lieu d’enculturation, d’être repoussée par sa culture d’origine, chassée, vers la métropole.
Enfin, le cercueil serait peut-être la traduction d’une crainte de devoir faire le deuil de son « fils/nouvelle culture ».
Le fait de penser à sa mère, morte prématurément d’un cancer (qui ronge de l’intérieur, corrosif…), associé a son fils dans ce cercueil, peut signifier que la « nouvelle culture » pourrait être aussi « un cancer ». Uriner c’est évacuer de l’intérieur vers l’extérieur un produit corrosif. Le cancer ronge le corps de l’intérieur et l’on souhaite en tant que malade, l’évacuer en dehors de soi.
Egalement, pour Sophie, sa mère représente La Réunion, l’ancienne culture qu’elle a « fuit » précipitamment en suivant son ex-conjoint en métropole. Mère décédée sans que Sophie eut le temps de « dire ce qu’elle avait à dire », de lui exprimer ses reproches, mais aussi ses questionnements sur son attitude envers elle.
Peut-être pense t’elle qu’il se passera une coupure morbide et trop rapide avec sa terre d’accueil, et ainsi n’est pas prête à repartir. Le « sein maternelle »[7], la mère et sa culture d’origine, semble être alors angoissant. Inversement, le « sein de la mère adoptive », celui de la culture d’accueil, semble plus rassurant. Sophie ne semble pas prête a ce sevrage là. Elle considère qu’au début, son intégration en métropole fut difficile, en partie dû a cette non-préparation. Ainsi elle ne souhaite pas de nouveau, être dans une situation instable, inconnue…
Elle reste pour l’instant prisonnière de sa double appartenance, « double-culture », de son métissage culturel. Elle est prisonnière d’un entre-deux, d’un néant…
Pour l’instant figée, « en mode pause » dans le « film de sa vie », sans pouvoir faire « avance-rapide » ou « retour-arrière ».
David GOULOIS Psychologue Clinicien/psychothérapeute, Ile de la Réunion, 974
Article paru dans « Al Lizher : La lettre de l’école psychanalytique de Bretagne », Brest, E.P.B, N°33, Juillet, 2008.
[1] La façon dont l’enfant est perçu, investi, soigné, traité, éduqué par la famille, sera appelé « berceau culturel ». Moro. M-R, Parents en exil : psychopathologie et migration, Paris, PUF, 2001, P°79.
[2] Moro explique le concept d’ « enculturation » comme le processus permettant à l’individu vivant au sein d’une communauté, d’introjecter les cognitions et croyances, les codes, schèmes et rituels du groupe, mais aussi de s’identifier à ce dernier pour par la suite y prendre toute sa place, son rôle et sa fonction de sujet.
Moro. M-R, « Bases de la clinique transculturelle du bébé, de l’enfant et de l’adolescent », in Manuel de psychiatrie transculturelle : travail clinique, travail social, Grenoble, La pensée sauvage, 2004 , P°20.
[3] Festinger. L, en est le théoricien, A theory of cognitive dissonance, Paris, Broché, 1957.
[4] Ou « double-bind » selon la théorie systémie. .
[5] Goulois. D, La perte de la contenance culturelle chez le migrant réunionnais. Conséquences chez l’individu et dans le couple, Mémoire de recherche en Master 1ère année de Psychologie Clinique, Université de Brest Occidentale, Brest, 2008.
[6] Selon les théories de Klein, uriner est un acte symbolique purement sadique visant la destruction de l’objet oedipien, Klein. M, (1966) Sur la théorie de l’angoisse et de la culpabilité, in Développements de psychanalyse, Paris, P.U.F, 2001.
[7] Klein. M, ( 1959), La psychanalyse des enfants, Paris, P.U.F, 2006.
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